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Conflit en Ukraine :
le “camp du bien” disent-ils…
par Réda Dalil
rédacteur en chef de "TelQuel"
Edito du n° 987 du 04 au 10 mars 2022
Ce n’est pas l’Irak ou l’Afghanistan, c’est une ville relativement civilisée, relativement européenne” ; “Ils sont prospères, viennent de la classe moyenne, de toute évidence ce ne sont pas des réfugiés essayant de fuir le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord” ; “Nous sommes au XXIe siècle, nous sommes dans une ville européenne et nous avons des tirs de missiles comme si nous étions en Irak ou en Afghanistan, vous vous imaginez ?” ; “C’est une immigration de grande qualité”…
Et le pompon est décroché par ce chroniqueur du journal anglais The Telegraph, qui commet ceci : “Cette fois-ci, la guerre est injuste car les gens nous ressemblent, qu’ils ont des comptes Instagram et Netflix. Ça ne se passe plus dans un pays pauvre et éloigné.”
À écouter bavarder cette faune de commentateurs et de responsables politiques anglais, américains et français, vient à l’esprit ce que disait Gramsci à propos du passage entre un vieux monde et un monde nouveau : “Dans ce clair-obscur apparaissent les monstres.” Depuis le 23 février, le conflit en Ukraine en donne une triste démonstration. Il a fait tomber les masques d’une hypocrisie enfouie sous les grands principes onusiens de “la famille humaine et de ses droits égaux et inaliénables”.
Commençons par le conflit en lui-même. L’incursion des troupes russes en terre ukrainienne a fait pousser des cris d’orfraie à l’Amérique et à l’Union européenne sur la base du principe de souveraineté territoriale. Soit. Flash-back : nous sommes en 2003. S’appuyant sur des arguments fallacieux, la dissimulation d’armes de destruction massive, les États-Unis et leurs alliés commettent le même outrage en Irak, sans même s’embarrasser d’un mandat onusien.
Hormis quelques voix éparses dont celle de la France, l’Occident n’y trouve rien à redire. La croisade, au contraire, est menée au nom des grandes idées démocratiques, avec pour mission de restaurer la dignité du citoyen irakien, malmené par un régime dictatorial. Pays dévasté à tous points de vue, avec plus de 500.000 morts, l’Irak n’aura ni la démocratie, ni la stabilité, ni la prospérité promises.
En 2011, même scénario. À la remorque de Nicolas Sarkozy, une alliance de 18 pays, là aussi sans mandat de l’ONU, est allée au-delà de la simple protection des civils libyens en précipitant militairement la chute d’un régime inique. Là encore, l’offensive occidentale, loin de dissiper le chaos, a au contraire plongé ce pays dans une tourmente sans fin, provoquant exode et désolation, et transformant la région du Sahel en théâtre d’affrontements d’intérêts extérieurs.
Onze ans plus tard, la Libye unifiée demeure un mythe. Fragmenté, le pays ne parvient guère à se choisir des leaders légitimes par la voie des urnes. Inutile de dire que nul n’aurait songé appliquer des sanctions aux États-Unis pour avoir envoyé ses GI’s en Irak, ni à la coalition occidentale intervenue militairement en Libye, sous la bannière de l’OTAN.
Le “camp du bien” se comporte comme si son bouclier de “valeurs” lui autorisait tous les abus, et lui permet d’imposer ses éléments de langage à la planète entière. L’incroyable déferlement de sanctions sur la Russie, allant du bannissement du système Swift jusqu’à la mobilisation probable du Tribunal pénal international à l’encontre de Poutine, en passant par l’interdiction des médias favorables à la Russie, la censure des réseaux sociaux, l’exclusion des compétitions sportives, laisse songeur. Père la vertu, gendarme de la planète, dépositaire de la conscience universelle et défenseur des valeurs du siècle des Lumières, l’Occident, en fait, ne roule que pour lui-même.
Il se dégage comme un arrière-goût amer pour ceux qui croyaient encore aux valeurs universelles d’égalité, de droits de l’homme et de liberté d’expression. C’est comme si le masque de la duperie s’était subitement effrité, dévoilant d’un côté une humanité digne, et de l’autre, une sous-humanité soumise à des règles différentes, à des traitements contrastés.
Pour les premiers, “blonds aux yeux bleus” comme les qualifie un procureur ukrainien, les principes d’égalité et de dignité, l’accueil chaleureux, la protection et le respect ; pour les basanés, Syriens, Afghans et Libyens, entre autres damnés de la terre, le mépris, le rejet, la violence physique et symbolique.
La morale de l’histoire, si l’on peut parler ainsi, est élémentaire, si évidente. Dans un monde mû exclusivement par la défense des intérêts propres, il n’y a de meilleur allié que soi-même. Et les fidélités d’hier ne sauraient engager ou conditionner celles de demain. Cela, le Maroc l’a compris depuis plusieurs années et vient de le réaffirmer en “snobant” le vote de la résolution onusienne qui “exige” le retrait immédiat des Russes.
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