- alain
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Al Hoceima : un édito de Reda Dalil pour "Economie Entreprises"
Les habitués des "rencontres littéraires" de l'Institut français d'El Jadida connaissent Reda Dalil dont nous avons salué par ailleurs la sortie de ses romans "le Job", prix de la Mamounia 2014 , lors d'une soirée à l'Institut le 14 novembre 2014, et "Best-Seller", le 29 avril 2016. Avec Ahmed Ghayed, dont nous publions également la contribution, ce sont deux voix marocaines indépendantes qui livrent leur sentiment sur ce que l'on appelle "les événements du Rif" comme, dans le temps, il y eut "les événements d'Algérie" ou "les événements de mai 68"...
Réda Dalil avec Saïd Loukili lors de la rencontre littéraire du 29 avril 2014
Reda Dalil a écrit:Ceux qui dominent (vraiment) le Maroc07/2017Al Hoceima. Neuf mois de surplace. On a déplacé la moitié d’un gouvernement, on a enquillé les promesses, on a laissé les vieux démons sécuritaires mordre sur la raison, on a aggravé la surcharge carcérale et, pendant ce temps, on tend l’oreille en direction des puissants, et qu’entend-on? Le bruit du silence. Ces nantis qui, d’un coup de baguette magique, peuvent transformer les troubles sociaux en mauvais souvenir, ces détenteurs du Graal: la capacité d’investir, ces grands patrons juchés sur leurs grands groupes, ces spécialistes de l’expansion continentale se font muets, rasent les murs, disparaissent dans les plis de l’irresponsabilité, se font ectoplasme, vapeur d’eau. Pourtant, eux, ce sont les siamois de la stabilité. Le cadre paisible du royaume arrange leurs affaires. Ils ont tout à perdre si le trouble venait à fissurer l’harmonieuse fresque sociale du plus beau pays du monde. Et pourtant, il ne bronchent pas, ils ne «font pas péter» la machine à projets, ils se barricadent dans la bulle des grosses boîtes du MASI/MADEX, qui, au terme d’une année de PIB cadavérique (1,2%), ont explosé leurs bénéfices (14%). Ils évoluent dans un méta-pays de télétubbies dans lequel les profits servent à rembourser les banques qui prêtent à nouveau de quoi générer de la rentabilité, des dividendes, et bis repetita, comme dans une corne de l’abondance s’autoalimentant à l’infini. Leur argent fait des petits dans la discrétion capitonnée des banques privées où les macarons Dalloyau et le thé au jasmin (champagne Taittinger si affinités) sont proposés à jet continu par des serveurs blanchement gantés. Le dominant n’est pas partageur. Voyez les barons du carburant, cet élixir de la mobilité qui coule dans les veines de tout Marocain actif, il en a fallu enquêtes et rapports pour convaincre le gouvernement qu’il y a eu captation indue des marges, permise par l’effondrement des cours du Brent. Or, rien n’y fait, le lobby est simplement trop puissant, plus puissant que nous tous réunis. Son intérêt particulier prime sur l’intérêt général. La politique comme le foot est un sport élémentaire, il y a des joueurs, une géographie, un arbitre, mais c’est toujours l’Allemagne qui gagne, sauf qu’au Maroc, l’Allemagne, ce sont des dominants qui roulent en Mercedes Benz, édition AMG. L’oligarchie des affaires dispose d’une belle économie, comme un fruit juteux, qui gicle du rendement en pressant le citron-citoyen des classes moyennes et populaires. Les dès sont pipés en sa faveur, pourquoi, dès lors, bâtir, innover, être compétitif, contre qui au juste affuter ses arguments de vente? Un cacique multi-industriel, trônant sur une fortune à elle seule apte à faire pousser 100 centres d’oncologie suréquipés à Al Hoceima, avoue: «S’il se figurent que je vais placer mes billes dans ce pays, il se foutent le doigt dans l’œil bien profond, c’est simple, l’Etat ne fait rien pour moi, je ne fais rien pour l’Etat». Cynisme du conquérant, narcissisme de l’époque, égoïsme qui, tel le lierre, grimpe le long du corps social, s’insinue dans ses cavités, l’étouffe, le tue. L’incivilité des nantis est un mal autrement plus profond que celui des gens de peu, car les premiers peuvent tout, les seconds strictement rien.
D’autant que le peuple est devenu une abstraction, juste une idée, une théorie un peu vague. Au fond, qui est-il ce peuple qui ne vote pas, qui ne s’engage pas, qui ne croit plus en rien, qui rejette parlementaires, caïds, moqaddems, maires, présidents de communes, société civile? Ce peuple qui annule les corps intermédiaires mérite-t-il que l’on gouverne pour lui? Suffit qu’on le recense une fois tous les dix ans pour lui annoncer qu’il a vieilli et ça s’arrête là. Au fond, existe-t-il vraiment ce peuple? La superstructure administrative, les hauts commis, les gens du pouvoir ne peuvent le servir s’il n’a pas de visage. En revanche, les dominants, eux, ont un visage qui emprunte sa «dureté» au titane; ils ont des exigences en pagaille, des confédérations aguerris aux «monologues sociaux», des joues couperosées de s’être trop enivrés de pouvoir, d’influence, de «feuilles de route». Et cet Etat que le dominant méprise, et bien cet Etat lui mange dans les mains. Pour obliger les caprices des puissants, l’Etat a tué le débat public. Le peuple-abstration fait de la figuration dans sa grosse production hollywoodienne. Le dominant profite d’un bac à sable où les grandes décisions se prennent dans un carré VIP inaccessible aux intrus. A-t-on jamais débattu de la décompensation des hydrocarbures? Avait-on débattu dans le temps du démantèlement des barrières douanières, véritable génocide industriel? A-t-on débattu du nouveau régime de change attendu avec piaffement par les dominants, qui déjà, spéculent sur la chute spectaculaire du dirham? A-t-on débattu de l’intégration à la Cédéao qui prévoit, sachez-le, la disparition des frontières et une monnaie unique… Cela le dominant le sait, il en tirera bénéfice, mais vous, le saviez-vous? D’ailleurs. Ne le prenez pas mal. Une question. Juste entre nous.
Existez-vous vraiment?
Réda Dalil
rdalil@sp.ma
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